著者
斎藤 一郎
出版者
東京芸術大学
雑誌
東京藝術大学音楽学部紀要 (ISSN:09148787)
巻号頁・発行日
vol.22, pp.1-28, 1996

Les freres Goncourt n'aiment pas l'operette. Ayant vu Croquefer, d'Offenbach, ils en condamnent la frivolite. Selon eux, l'abrutissement des Francais gagne meme la Cour de l'Empereur, ou "les distractions, les plaisirs tombent au plus bas avilissement de la betise". On y a joue, precisentils, "une charade ou le mot<fourbu>a ete le pretexte pour rapporter a ces oreilles, qui ne peuvent s'en souler, le<Bu qui s'avance>". Allusion a certain passage de La Belle Helene, relatif au roi barbu qui s'avance. Pourquoi l'operette d'Offenbach connait-elle un prodigieux essor sous le Second Empire? Et pourquoi son declin est-il consecutif a l'ecroulement de l'Empire? Si l'opera est represente essentiellement dans les theatres royaux, pour l'aristocratie, l'operette, genre comique, s'adresse au peuple. Or, le rire accompagne aisement la satire sociale, il en garantit le succes. L'operette en arrive done a viser les puissants, ou ceux qui leur sont soumis, et finit par susciter une sorte d'esprit revolutionnaire. L'apparente legerete du divertissement n'est pas sans danger pour un pouvoir dictatorial. Le Second Empire a d'ailleurs un point faible dans son origine, plutot douteuse. Ce regime provoque lui-meme la satire, offre des materiaux particulierement convenables a l'operette. Entreprenant le travestissement de l'antiquite grecque, Offenbach ridiculise toutes les autorites existantes. Le Second Empire, qui ne possede qu'un pouvoir incertain, doit sans cesse donner le change, cacher le vide en multipliant parures splendides et decorations eblouissantes: c'est le seul moyen pour griser la classe bourgeoise ainsi que la classe ouvriere. La modernisation de Paris par Haussmann s'inscrit dans cette politique, de meme que les Expositions universelles et les guerres successives, qui permettent d'enivrer constamment le peuple afin de maintenir l'Empire. Un tel jeu de dupes cree une atmosphere fort semblable a celle de l'operette. La Belle Helene, passionnante parodie de l'epopee grecque, montre un Agamemnon qui, vetu d'un maillot de bain Second Empire et muni d'une ceinture de natation en caoutchouc, entre en scene pour danser un cancan. Les Parisiens rient d'autant plus qu'ils reconnaissent sur la sene le monde de la Cour, ou Napoleon III s'ingenie a consolider son pouvoir. L'amour d'Helene, le pressentiment de la Guerre de Troie, l'habilete des puissants a rejeter toute responsabilite sur les autres: evocation, sur le mode de la derision, du Paris d'avant la guerre franco-allemande, attendant l'effondrement de l'Empire. La Vie Parisienne fait certes la satire des cocodes, de la boheme mondaine ou des viveurs du boulevard, mais ils ne sont, avec la parodie de la fausse aristocratic jouee par des domestiques, que le negatif des puissants. Ainsi les Parisiens se moquent-ils, a tous les etages, de cette societe ou se manifestent les signes annonciateurs de la chute. Il est permis de percevoir chez Offenbach une tendance a favoriser la prefiguration de l'esprit democratique. En 1867, annee de l'Exposition Universelle, Hortense Schneider est a l'apogee de sa gloire. Tous les princes d'Europe en visite a Paris vont voir La Grande-Duchesse de Gerolstein. Et Bismarck, enchante par l'operette, declare: "C'est tout a fait cela." Veut-il parler de la faiblesse de l'empereur? N'a-t-il pas deja formule le jugement qu'il porte sur Napoleon III: "l'incapacite meconnue"? Ce Paris plonge dans l'ivresse, cette Hortense qui regne sur un monde insouciant, tout confirme, aux yeux du chancelier, le recul de l'esprit militaire en France. Les troupes en papier mache du general Boum ne tarderont pas a lui montrer la realite meme de l'armee francaise. La fin de l'Empire marque celle de l'operette. Les concessions faites par le souverain ont restreint la portee de la satire. La France est assez demoralisee pour considerer le regime imperial avec pitie. En fait, c'est le reve republicain qui l'a emporte sur l'operette. Le role d'Offenbach est terming, mais le compositeur va conserver la celebrite sous la Troisieme Republique. Son opera, Les Contes d'Hoffmann, n'ajoute guere a sa gloire; il en constitue le dernier eclat.

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