- 著者
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斎藤 一郎
- 出版者
- 東京芸術大学
- 雑誌
- 東京藝術大学音楽学部紀要 (ISSN:09148787)
- 巻号頁・発行日
- vol.24, pp.23-45, 1998
Telles sont les Parisiennes, au debut du 19^<eme> siecle, qu'elles font beaucoup parler d'elles. Napoleon et Balzac mettent en avant leur "bonte naturelle, desinteressee", celle qui suscite "tous les devouements calins, tous les heroismes, toutes les servitudes sublimes". Elles ont alors une ame naive et tombent facilement en folie d'amour. Le caractere qu'elles acquierent des le Second Empire, et conservent aujourd'hui, leur permet de repandre autour d'elles cette atmosphere propre aux quartiers animes d'un Paris decadent ou a a son apogee, en meme temps que leur inquietant parfum de sensualite. Un petit air de mepris, parfois, semble alterer le visage de ces femmes si gracieuses. Peu avant la seconde guerre mondiale, la Parisienne qui parait devant Pepe le Moko, au Maroc, reste enveloppee de l'odeur du metro de Paris. Vers la fin du 20^<eme> siecle, les Parisiennes, celibataires, liberees, peuvent gagner leur vie beaucoup mieux que les hommes. Elles ont un appartement, une voiture, des amants et, parfois, des enfants. Fringantes, elles ont trente-cinq ans et s'appellent "solos". La Parisienne du Second Empire nait dans le cloaque, sur le pave couvert de boue. Pour la sortir de la fange, il faut, bien sur, la puissance de la bourgeoisie, des nantis pleins de vitalite. L'eucation d'une Parisienne requiert un entourage de vrais Parisiens. Paul Perret, dans son ouvrage intitule La Parisienne (1868), et Pierre de Lano, dans L'amour a Paris sous le Second Empire (1896), recourent a toute leur erudition pour nous presenter le portrait de la vraie Parisienne. Quant aux Goncourt, c'est en 1864 qu'ils publient l'histoire d'une nouvelle Parisienne ideale, Renee Mauperin. Ce qui fait la Parisienne, selon Paul Perret, c'est la mode. Et la mode est, par exemple, a l'hydrotherapie. L'unique traitement, pour les syphilitiques, consiste alors a leur administrer des douches froides. Aussi les bains de mer et de riviere attirent-ils nageurs et nageuses. Quand Renee Mauperin fait son apparition, des le debut du roman, c'est dans l'eau de la Seine, avec un compagnon. La mode exercait son influence non seulement sur la toilette, la coiffure, le gout, mais aussi sur les idees, la sensibitlite: la soeur atnee de Renee est l'incarnation meme de la Parisienne, creature legere, superficielle. Pierre de Lano, dans le chapitre Femmes d'hier, femmes d'aujourd'hui, demontre toutefois que le merite de la Parisienne du Second Empire est de savoir seduire par son education et par sa culture, et cela grace a une faculte qui est celle de l'harmonisation, -dont semblent depourvues, a present, ses descendantes. L'heroine des Goncourt, "a l'avant-garde du temps", est du reste une excentrique. Aussi spontanee, primesautiere que la femme ancienne etait timide ou reservee. Tout en se baignant dans la Seine, pres de Saint-Denis, Renee fait preuve d'une lucidite qui doit sans doute beaucoup a celle des Goncourt. Toujours est-il qu'elle observe le spectacle des deux rives, ou se melent la campagne, le faubourg et la banlieue, "ces paysages parisiens sales et rayonnants, miserables et gais, populaires et vivants, ou la Nature passe ca et la, entre la batisse, le travail et l'industrie, comme un brin d'herbe entre les doigts d'un homme". Ce genre de femme ne se rencontre pas dans les autres romans de l'epoque. "On lui demande des impressions, des expressions personnelles. Elle peut parler, elle doit parler de tout. C'est passe dans les mceurs. Elle n'est plus tenue de jouer l'ingenuite, mais l'intelligence originale.", dit un ami de la famille au frere de Renee. "C'est une nature elevee, libre, tres blagueuse et tres tendre... Au fond, c'est une melancolique tintamarresque...". Cette alliance de mots resume les etats d'ame de la jeunesse bourgeoise, repliee sur elle-meme et neanmoins exaltee. Le pere de Renee, Monsieur Mauperin, ancien officier de Napoleon, possede une raffinerie de sucre dans la banlieue parisienne. Etant devenu un des riches industriels du Second Empire, il a gate son dernier enfant, cette Renee qui, par consequent, a pris des allures d'independance avec de remarquables libertes de langage. Les Goncourt decrivent a merveille les milieux du grand monde, de la grande bourgeoisie parisienne, ou la Parisienne recoit une education appropriee. Le futur beau-perve d'Henri, frere de Renee, declare ceci: "J'ai ete liberal... Je le suis encore... je suis un soldat de la liberte... Je suis republicain de naissance... je suis pour tous les progres, moi! Mais une revolution centre l'argent, ce sera de la barbaric! Nous retournerons a la sauvagerie! Il faut de la justice... et du bon sens. Enfin, supposez-vous une societe sans propriete? (...) Ce que j'ai gagne durement, laborieusement, honnetement... ce qui est a moi, ce que j'ai acquis... l'heritage de mes enfants... mais c'est tout ce qu'il y a de plus sacre! Je regarde deja l'impot comme une atteinte a la propriete, moi." Henri, pour faire un riche mariage, usurpe le titre de noblesse d'une famille qu'il croit eteinte. Intransigeante sur l'honneur et desireuse d'empecher le mariage, sa sceur Renee previent le descendant de cette famille, lequel provoque Henri en duel et le tue. Accablee de remords, Renee deperit et succombe a une maladie de coeur. Ces deux morts seront suivies d'une troisieme, celle de la soeur de Renee, morte en couches. Tout le roman est empreint d'un implacable pessimisme. Ayant perdu leurs trois enfants, les Mauperin ont tout vendu et sont partis a l'etranger. "Ils semblent marcher devant eux, sans regarder et sans voir... Ils errent, ils tournent dans l'exil de la terre, fuyant des tombes et portant des morts, essayant de laisser leur douleur a la fatigue des chemins, tramant a tous les bouts du monde leur vie pour l'user." Tandis que les Parisiennes jouissaient des splendeurs de la capitale, d'autres etres quittaient pour toujours la ville de lumiere dans l'espoir d'oublier leurs chagrins. Nous y voila: telle est bien la vanite de tout ce que les bourgeois cherchent et ont cherche. Ici apparait le comble de la misere pour les Goncourt, eux qui n'ont jamais imagine de pouvoir quitter Paris.