- 著者
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斎藤 一郎
- 出版者
- 東京芸術大学
- 雑誌
- 東京藝術大学音楽学部紀要 (ISSN:09148787)
- 巻号頁・発行日
- vol.21, pp.A1-A28, 1995
A Edmont de Goncourt, c'est toujours avec une certaine gratitude qu' Alphonse Daudet parle de Moray, auquel il a servi en quelque sorte de secretaire. Il ≪l'epargne, en estompant la nullite du personnage, mais il le peint comme ayant une qualite: un certain tact de l'humanite, la reconnaissance a premiere vue d'un incapable d'avec un intelligent.≫ Daudet a meme de l'estime, de la sympathie pour cet homme entoure d'un perpetuel concert de critiques et de louanges. En fait, le XIX^e siecle n'avait pas bonne reputation. On le jugeait souvent stupide, cupide, vulgaire, et toute la betise du Second Empire, en particulier, semblait incarnee par Moray. Un jour, le due commande a Daudet ≪une chanson, une cocasserie madecasse dans le genre de bonne negresse aimer bon negre, bonne negresse aimer bon gigot. La chose fabriquee et apportee par celui-ci, dans l'enthousiasme de la premiere audition, on oublie les visiteurs dans l'antichambre. Et voila Daudet, Lepine, le musicien, et Morny lui-meme, avec sa calotte et sous la grande robe de chambre dans laquelle il singeait le Cardinal-Ministre, les voila tous les trois tressautant sur des tabourets, en faisant de grands zim boum, zin badaboun, pendant que les visiteurs se morfondaient.≫ Ce Morny, qui est-ce? Selon les freres Goncourt, ≪le mecene d'Offenbach, le musicien amateur, homme type de l'Empire, frotte et pourri de toutes les corruptions parisiennes, qui representent toutes des decadences sans grandeurs, collectionneur qui brocante des tableaux, ministre dilettante, un des auteurs du Deux-Decembre (du coup d'Etat) et des operettes-bouffes, faisant des affaires de commissaire-priseur et de la musique a jouer chez un bordel, viveur sans gout, cervelle de Paris, etc.≫ Ce portrait n'est pas moins juste que celui qu'a laisse Daudet. Il faut suivre la carriere de cet homme qui, au dire du comte d'Alton-Shee, un de ses amis de jeunesse, ≪sans etre veritablement beau, avait la physionomie fine et bienveillante, de l'elegance, de la distinction et qui, admirablement proportionne, fort adroit a tous les exercices, a obtenu pres des femmes de nombreux et eclatants succes. Instruit pour un mondain, ayant le gout de la paresse et la faculte du travail, une foi absolue en lui-meme, de l'audace, de l'intrepidite, du sang-froid, un jugement sain, de l'esprit, de la gaiete; plus capable de camaraderie que d'amitie, de protection que de devouement; prodigue et avide; plus joueur qu'ambitieux; fidele a un engagement personnel, mais n'obeissant a aucun principe superieur de politique ou d'humanite. Rien ne genait la liberte de ses evolutions. En outre, il possedait certaines qualites princieres, la dissimullation, l'indulgence, le mepris des hommes. Il pratiquait la souverainete du but dans son propre interet...≫ Ce temoignage est celui d'un observateur qui, sans etre ecrivain, ne manque ni de penetration, ni de talent. On a certes voulu minimiser la valeur de ces declarations. Le fils de Morny, notamment, a pretendu que Daudet n'avait regarde que de l'antichambre. Mais ce ne sont pas toujours les proches qui percoivent le mieux la verite d'un personnage, quand bien meme ils laisseraient a son sujet une masse de documents. On remarque chez beaucoup d'historiens, surtout chez ceux qu'influence la pensee marxiste, une tendance a l'incomprehension, au manque de "souplesse": ils traitent Morny comme un personnage louche, se livrant a des commerces interlopes, un individu suspect affectant la franchise. Or, Morny, avec toutes ses faiblesses, qu'il ne faut pas chercher a nier, etait superieur a son entourage, et meme a son temps. Les historiens ont souvent le tort, je crois, de s'attacher aux seuls grands phenomenes de surface, en oubliant, en meprisant les personnages qui leur communiquent autant d'impulsions qu'ils en recoivent. Le plus interessant est dans les personnes, dans les details de leurs actions. ≪L'histoire telle que la font la plupart des historiens, dit Edmond de Goncourt a Rosny aine, c'est de la bouillie pour les chats. Il n'y a d'histoire que celle qui retrace une epoque, et aucune epoque ne peut se retracer sans ses details, ses minuscules details.≫ La vie de Morny, de ce parfait representant du Second Empire, ses idees, ses comportements, avec sa frivolite ou sa puerilite, tout ce qui justement nous interesse, voila qui offre l'image d'une epoque marquee par un vigoureux essor, avant la decadence, bien sur, qui surviendra vers la fin du siecle. ≪Ce qu'on voit de loin dans un edifice, declare Daudet, ce n'est pas sa base solide ou branlante, sa masse architecturale: c'est sa fleche doree et fine, decoupee, ajoutee pour la satisfaction du coup d'oeil. Ce qu'on voyait de l'Empire en France et dans toute l'Europe, c'etait Morny.≫